8 Juin 2018

Vie sur Mars : « Curiosity fait 2 découvertes capitales »

Grâce à son instrument SAM, opéré depuis le CNES de Toulouse, le rover Curiosity a identifié du méthane et de nombreuses molécules organiques sur Mars. 3 questions à Francis Rocard, responsable des projets d’exploration du Système solaire au CNES.
Quelles sont les 2 découvertes de Curiosity publiées dans la revue Science aujourd’hui ?

Francis Rocard : En fait, Curiosity s’est remis à forer sur Mars depuis peu de temps après avoir eu de nombreuses difficultés pendant toute l’année 2017. Cette fois-ci, l’instrument SAM (Sample Analysis at Mars, ndlr) a détecté 100 fois plus de molécules organiques qu’auparavant dans le sol, à 5 cm de profondeur, et surtout des molécules beaucoup plus complexes : du thiophène, du benzène, du toluène…

Le rover Curiosity a parcouru 18 km sur la planète Mars depuis son arrivée en 2012. Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS.

On est là, au cœur des objectifs de la mission de Curiosity qui est d’avancer sur la problématique de l’émergence de la vie sur Mars. Si la vie est apparue sur Mars, elle est forcément passée par une phase de chimie organique complexe, c’est ce que vient de trouver Curiosity. C’est de très bon augure pour la suite des investigations. Concernant la 2e découverte, c’est toujours l’instrument SAM (opéré depuis le CNES de Toulouse, ndlr) en analysant l’atmosphère martienne, cette fois-ci, qui a permis de confirmer un fond d’émanations de méthane régulier et surtout une corrélation saisonnière sur la planète Mars. L’origine de ce méthane reste inconnue, elle est soit minéralogique, soit biologique. Malgré ces 2 résultats importants, on ne peut toujours pas affirmer qu’il y a ou qu’il y a eu de la vie sur Mars. C’est trop tôt.

Quelle forme de vie s’attend-on à découvrir sur la planète Mars ?

F.R. : Les biologistes du monde entier sont intimement convaincus que la vie ne se conçoit qu’avec de l’eau liquide et du carbone. C’est l’hypothèse que l’on fait lorsque l’on recherche de la vie dans l’Univers, que ce soit sur Mars, sur Europe (satellite naturel de Jupiter, ndlr) ou sur une exoplanète. La vie sur Terre est universellement caractérisée par l’ADN que contiennent les chromosomes de nos cellules. Pour la vie extraterrestre, c’est la grande inconnue. On peut très bien imaginer qu’elle soit basée sur une autre molécule pour transmettre l’information génétique. C’est ce qui fait tout l’intérêt de rechercher de la vie sur Mars ou ailleurs dans l’Univers. La vie est-elle identique partout ou existe-il plusieurs chemins pour y arriver ? Pour l’instant, personne n’a pas la réponse…

Quelles sont les futures missions qui vont étudier la vie sur Mars ?

F.R. : On a d’abord InSight qui doit atterrir sur Mars le 26 novembre 2018 où la France, emmenée par le CNES, fournit un sismomètre, l‘instrument SEIS. Cette mission doit analyser pour la 1ere fois l’intérieur de Mars pour fournir des informations géophysiques sur la planète. Indirectement, elle pourra nous donner des informations cruciales pour la problématique de la vie sur Mars. Si par exemple des ondes sismiques de faible intensité sont détectées près d’un volcan, on pourra en déduire qu’il est encore en activité, peut-être endormi comme nos vieux volcans d’Auvergne, mais avec un point chaud souterrain et à proximité, une région propice au vivant. On a surtout ExoMars, c’est la 3e mission martienne européenne, sous l’égide de l’ESA donc (l'agence spatiale européenne, ndlr), qui devrait atterrir sur Mars début 2021 et qui sera capable de forer à plus de 2 m contre 5 cm actuellement pour Curiosity. Là encore, nous embarquons plusieurs instruments d’analyse auxquels le CNES et les laboratoires contribuent. Enfin, il y a Mars 2020 sous pavillon NASA, le successeur de Curiosity, qui devrait atterrir sur Mars en février 2021 et où nous fournissons « les yeux chimiques » du rover, l’instrument SuperCam aux performances nettement accrues par rapport à son prédécesseur ChemCam. Il utilisera notamment la spectroscopie Raman pour mesurer à distance la composition chimique des molécules organiques contenues dans les roches. SuperCam aura aussi une capacité de spectroscopie infrarouge pour localiser notamment les argiles, des roches sédimentaires qui se sont formées quand la planète était propice au vivant. Cette mission collectera des échantillons qui seront ultérieurement rapportés sur Terre. Ce n’est probablement qu’avec ces échantillons en laboratoire que l’on pourra apporter une réponse définitive sur l’émergence du vivant sur Mars.

Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire, au CNES. Crédits : CNES.

Forage de quelques cm de profondeur réalisé par Curiosity sur Mars. Crédits : NASA/JPL-Caltech/MSSS.