Crédits : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2019.
Plus de 1000 lacs
Cette incroyable image d’une largeur d’environ 80 km a été acquise par un satellite Sentinel-2 au-dessus du lac Poyang, le 07/04/2019, au tout début de la saison des pluies. Le plus grand lac d'eau douce chinois se remplissait doucement. Il était alors constitué d’une myriade de lacs, étangs et petits réservoirs. Il y en aurait près de 1 000 de taille supérieure à 5 ha sur cette image ! Leurs profondeurs, très variables, sont à l’origine de toutes les nuances de verts :
- vert impérial pour les rives et les lacs recouvert de végétation ;
- vert opaline pour les lacs et les courants chargés de sédiments en suspension, notamment du sable et de l'argile claire.
Changement de décor à la saison des pluies
3 mois plus tard, le site est méconnaissable. Le lac ne forme plus qu'une seule entité et recouvre une surface d’environ 3 500 km² — contre moins de 1 000 km² lorsqu'il est en basses eaux.

Animation montrant le lac en basses eaux (image Sentinel-2 du 07/04/2019, couleurs vives) et en hautes eaux (image Sentinel-2 du 31/07/2019). Crédits : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2019.
Représentation d'artiste d'un satellite Sentinel-2 en orbite à 800 km d'altitude. Crédits : ESA.
5 millions de personnes vivent autour du lac Poyang. De nombreux pêcheurs, des éleveurs de poissons, crabes et moules perlières vivent des ressources en eau douce du lac, mais aussi des éleveurs qui viennent faire paître leurs troupeaux de buffles quand le lac est en basses eaux. Crédits : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2019.
Poyang sous monitoring spatial
Pour les scientifiques, le lac se révèle surtout en infrarouge. « La forte réponse de la végétation au proche-infrarouge donne un aspect binaire végétation/eau aux images satellites. Il est alors plus facile de déterminer la surface en eau » explique Hervé Yésou, chercheur à l’ICUBE-Sertit à Strasbourg qui suit depuis 16 ans les hauts et les bas du lac dans le cadre du programme sino-européen Dragon.
#Biodiversité En couplant observations satellites et observations in situ, les scientifiques améliorent leur compréhension des grands écosystèmes et de leurs évolutions. Explications avec Hervé Yesou @unistra qui vous fait écouter le Lac Poyang pic.twitter.com/tVQx6IE4OA
— CNES (@CNES) July 19, 2020
Dans un 1er temps, les chercheurs ont utilisé les images optiques des satellites français SPOT-4, SPOT-5 et Pléiades, de l’européen Envisat et du chinois HJ-1. Depuis 2015, ce sont les satellites Sentinel-2 du programme européen Copernicus qui sont surtout mis à contribution. Les satellites radar, tel Sentinel-1, sont aussi sollicités, notamment lors des inondations. Toutes les images acquises et traités ont permis aux scientifiques de réaliser une série temporelle sur près de 20 ans de l'évolution de la surface en eau du lac permettant de déceler les anomalies d'excès ou de déficit.

Animation montrant le lac Poyang au milieu de la saison des pluies avec la même image Sentinel-2 (acquise le 31/07/2019) en couleurs naturelles et en infrarouge. Crédits : European Union, contains modified Copernicus Sentinel data 2019.
Un Dragon au long cours
« Depuis 2006, on observe un comportement perturbé du lac. Il y a d’abord eu 4 années avec un fort déficit d’eau. Puis, depuis 2010, des basculements très rapides d’un extrême à l’autre, avec des années marquées par des inondations importantes (2010, 2012, 2016) immédiatement suivie par des années de forte sécheresse (2011, 2013, 2015). On observe aussi un raccourcissement inquiétant de la période de hautes eaux, parfois de près de 2 mois ! » s’inquiète le chercheur. Pour expliquer ces changements, une conjonction de facteurs mêlant pluviométrie, activités humaines telle une exportation de sable du fond du lac, la construction de barrages comme le barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yang Tsé — le plus important de Chine – et bien sûr le réchauffement climatique. Pour déterminer la part de chacun, il est essentiel de continuer la série temporelle. Cela tombe bien, le programme Dragon a été prolongé le 21/07/2020 jusqu'en 2024, pour la 4e fois successive par l'Agence spatiale européenne (ESA) et le National remote sensing centre of China (NRSCC) – une entité du Ministère chinois des sciences et de la technologie. Le CNES y participe via sa contribution au budget de l'ESA. Dragon-5 apportera aussi des éléments de connaissances pour l’exploitation des données du satellite altimétrique SWOT dont le lancement est prévu en 2021 et préparera l’arrivée du satellite franco-indien Thrisna en 2024.

Poyang, un joyau pour les oiseaux
Le lac Poyang héberge plus de 330 espèces d'oiseaux. Chaque année, à l’automne et au début de l’hiver, des milliers d'individus venant de Sibérie, Mongolie, Corée, Japon, Nord de la Chine migrent vers le lac. On y observe alors les rares grues de Sibérie, et leurs cousines les grues à cou blanc (photo ci-contre), des cigognes blanches orientales ou encore des oies cygnoïdes dont Poyang est le site d’hivernage quasi exclusif. A partir d’avril, ils s’en retournent vers leurs lieux de nidification. Leur nombre ne cesse toutefois de diminuer, conséquence directe du raccourcissement de la période en hautes eaux du lac et de son envahissement par la végétation par des sécheresses prolongées et exacerbées.