26 Juin 2019

[Lune] Apollo : de la science et de la France

Entre 1969 et 1972, les astronautes américains ont rapporté 382 kg d'échantillons lunaires lors de 6 missions Apollo. Des chercheurs français les ont analysés dès leur arrivée sur Terre. Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES, nous en dit plus.
Dans quel cadre s'est passée cette participation française ?

Francis Rocard : La NASA avait sélectionné des laboratoires français dans le cadre d'appels d'offres internationaux très compétitifs. La France avait déjà une expertise forte dans les analyses géochimiques. De nombreux laboratoires ont été retenus : le CRPG de Nancy, le CSNSM et l'IAS à Orsay, l'IPGP et le MNHN de Paris… La France a financé ces laboratoires en instruments de haute technologie : spectromètre de masse, sonde ionique… L’analyse des échantillons, réalisée entre autres par des équipes françaises, a en particulier validé le modèle de la formation de la Lune, née de la collision de la Terre avec une petite planète de la taille de Mars, établi la datation absolue des roches lunaires et leur composition Dans les années 1990, les laboratoires ont perfectionné leurs techniques et amélioré la précision des mesures ce qui a, par exemple, conduit à la détection et à la mesure de particules solaires implantées dans les roches de surface de la Lune.

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Echantillon lunaire de la mission Apollo 12 étudié, au début des années 70, au CRPG de Nancy. Crédits : CRPG.

Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.

Le saviez-vous ?

Seuls 10 % des 382 kg d’échantillons lunaires des missions Apollo ont été détruits lors d’analyses. Environ 10 % sont en cours d’étude. Le reste est stocké au Johnson Space Center à Houston (Texas, USA) et à White Sands (Nouveau Mexique, USA), à l'abri des contaminations et dans des atmosphères contrôlées.

Des échantillons lunaires des missions Apollo sont-ils encore étudiés en France ?

F. R. : Oui. Dans les années 2000, l’ENS de Lyon a par exemple mis au point des analyses d'abondances isotopiques de traceurs qui n’étaient pas mesurables auparavant, telles que celles de l'hafnium, du cuivre et du zinc grâce à des techniques nouvelles de spectrométrie de masse. De son côté, le CRPG a développé une technique d'analyse à haute sensibilité des isotopes de l’oxygène et de l’azote. L'IPGP a mis au point des techniques qui ont établi, avec une grande précision, la chronologie de la formation et de l’évolution de la Lune.

Les scientifiques français sont des partenaires recherchés pour les missions de retour et d’analyse d’échantillons extraterrestres. Les chercheurs du CRPG ont participé aux analyses d’ions du vent solaire (Genesis/NASA). Plusieurs laboratoires ont contribué aux analyses d’échantillons provenant d’astéroïdes (Hayabusa/JAXA), de la queue d’une comète (Stardust/NASA). Des français sont aujourd’hui impliqués dans les projets futurs de retour d’échantillons extraterrestres de la Lune (Chang’e 5 & 6 /CNSA, Mars Sample Return/NASA-ESA), de Phobos (Mars Moons Explorer/JAXA), d’astéroïdes (Hayabusa 2/JAXA, Osiris-Rex/NASA). 

Cube de basalte lunaire rapporté par la mission Apollo 17 montrant la trace laissée par un impact laser réalisé à Poitiers en 2009 dans le cadre d’une expérience sur l’origine du champ magnétique de la Lune. Crédits : Jérôme GATTACCECA/CEREGE/CNRS Photothèque.

La France a-t-elle participé à d’autres projets scientifiques menés dans le cadre des missions Apollo? 

F. R. : Oui, des chercheuurs français ont participé au développement et à l’analyse de l’expérience européenne Biostack embarquée dans le module de commande des missions Apollo 16, 17 et Apollo-Soyouz. Cette expérience de biologie avait pour objectif d’étudier l’impact des radiations cosmiques sur des êtres vivants. Un groupement de laboratoires, soutenu par le CNES, a conçu et fabriqué un dispositif pour tester les effets du rayonnement cosmique sur le développement d'œufs de crevette Artemia salina. Cette expérience a contribué à poser les bases de l’analyse des risques radiatifs pour les astronautes. C’était la 1ère fois qu’une telle expérience était réalisée au‐delà de la ceinture de radiation de Van Allen.

Crevettes Artemia salina. Crédits : Hans Hillewaert.

Des scientifiques français utilisent actuellement les réflecteurs lasers déposés lors de missions Apollo. Avaient-ils contribué à la conception de ces instruments ?

F. R.: Non, par contre la France a fourni les réflecteurs lasers présents sur les rovers soviétiques Lunokhod 1 et Lunokhod 2 déposés lors des missions Luna 17 en 1970 et Luna 21 en 1973. Ces 2 réflecteurs sont les 1rs instruments livrés par le CNES dans le domaine planétaire. Ils ont été fabriqués à Cannes, par l’entreprise Sud Aviation aujourd’hui Thales Alenia Space. Ces 2 réflecteurs et les 3 réflecteurs déposés lors des missions Apollo 11, 14 et 15 sont toujours utilisés pour mesurer la distance Terre-Lune. Les scientifiques français figurent parmi les experts mondiaux en la matière, aux côtés des Américains. D’abord réalisés depuis le pic du Midi, ces tirs laser vers la Lune sont effectués depuis le milieu des années 1980 depuis une station de l’Observatoire de la Côte-d’Azur située près de Grasse. La précision – aujourd’hui millimétrique – et la régularité des mesures ont démontré l’éloignement progressif de la Lune de 3,8 cm par an. Ces mesures ont aussi révélé des mouvements complexes de la Lune ainsi que les mouvements fins de notre planète : mouvement des pôles, dérive des continents... Ces expériences ont aussi un grand intérêt pour l’établissement de systèmes de références et pour la physique fondamentale, en testant le principe d’équivalence qui est à la base de la théorie de la relativité générale d’Einstein. 

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Faisceau laser tiré vers la Lune par le télescope MéO situé sur le plateau de Calern, au nord de Grasse. Crédits : Cyril FRESILLON/GEOAZUR/FIRST-TF/CNRS Photothèque.

Réflecteur déposé lors de la mission Apollo 15 en 1971. C’est le plus grand des 5 réflecteurs lunaires (0,6 m²) et la cible de près de 80 % des tirs lasers. Crédits : NASA.

 

La distance Terre-Lune est déduite des tirs lasers vers la Lune. Crédits : Cyril FRESILLON /GEOAZUR/FIRST-TF/CNRS Photothèque.