2 Mars 2018

Lancement de SpaceX : « Ce qu’on doit faire maintenant, c’est foncer ! »

Mardi 6 février 2018, SpaceX réussit le tour de force de faire décoller sa fusée Falcon Heavy, la plus puissante au monde, depuis la base spatiale de Cap Canaveral, en Floride. Quel était, au juste, l’objectif de cet essai et surtout quelles en sont les conséquences ? 4 questions à Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs, au CNES.

Quel était l’objectif de ce lancement de SpaceX le 6 février ?

Jean-Marc Astorg : L’objectif pour SpaceX était de montrer que son lanceur pouvait fonctionner correctement pour mettre en orbite une charge utile, en l’occurrence la voiture personnelle d’Elon Musk (le patron de SpaceX, NDLR). Il s’agissait aussi de récupérer la plus grande partie du lanceur. 2 boosters latéraux sont bien revenus sur la terre ferme, en Floride, non loin du pas de tir. Le corps central, lui, n’a pas été récupéré sur une barge en mer comme prévu. Le lancement a donc été une réussite pour tout ce qui concerne le fonctionnement global de la fusée et la mise en orbite, par contre il reste du travail pour la récupération du corps central. C’est un paramètre important car c’est ce qui va permettre de démontrer l’intérêt économique de cette fusée Falcon Heavy. Mais soyons fair play, ce lancement inaugural était une réussite.

Starman (un mannequin revêtu d'une combinaison) au volant de la voiture Tesla d'Elon Musk, libérée dans l'espace par la fusée Falcon Heavy le 6 février 2018. Crédits : SpaceX.

Quelle est la principale différence entre cette fusée et notre Ariane 5 ?

J-M A. : Elon Musk a ouvert une nouvelle voie dans le monde des lanceurs, c’est celle de la réutilisation d’éléments de fusées dans le but de réduire les coûts. Ce concept n’est pas nouveau, il a été imaginé dès les années 50 puis mis en œuvre dans le cadre du programme américain des navettes spatiales. La navette a été un échec économique car sa remise en état après chaque mission était extrêmement couteuse. SpaceX a limité la récupération au 1er étage ce qui simplifie beaucoup les choses en utilisant la technique dite du "toss back". Cela consiste à rallumer les moteurs pour freiner et se poser en douceur. C’est une solution qui était décrite dans les livres depuis les années 1970. Elon Musk a le mérite d’avoir démontré que c’était techniquement faisable et il est en passe de démontrer aussi l’intérêt économique de cette réutilisation. En pratique, les 1ers étages de sa fusée Falcon 9 sont récupéres presque systématiquement depuis 2015. Notre fusée Ariane 5, elle, n’est pas réutilisable (la fusée est entièrement reconstruite à chaque lancement, NDLR) mais permet de mettre des satellites en orbite avec une grande fiabilité ce qui lui offre la 1ere place du podium sur le marché ouvert des lancements de satellites depuis plus de 30 ans.

Travaille-t-on au CNES sur des projets similaires ?

J-M A. : Au CNES, nous avons bien plus qu’un projet en ce qui concerne la réutilisation, nous avons une véritable feuille de route sur laquelle nous travaillons avec ArianeGroup (l’opérateur des lancements d’Ariane, NDLR), l’ESA (l’agence spatiale européenne) et nos partenaires européens, pour étudier une famille de lanceurs 2 fois moins chers que la future Ariane 6 et dont la réutilisation sera un facteur de réduction des coûts. Mais nous ne misons pas tout sur la récupération. Cette famille de lanceurs nécessite un nouveau moteur Prometheus qui sera 10 fois moins cher que l’actuel Vulcain d’Ariane 5 et qui sera conçu pour être réutilisable. Prometheus est la pierre angulaire de nos lanceurs du futur, ce qu’on a appelé la génération Ariane Next. Pour ce qui est de la récupération d’étages, nous travaillons avec nos partenaires allemands et japonais sur Callisto, un tout petit véhicule sur lequel on doit tester le retour sur la terre ferme au Centre spatial guyanais. Ensuite nous avons Thémis, 10 fois plus gros que Callisto qui pourrait être testé en 2025. On verra ensuite si on applique cette technologie de réutilisation à Ariane 6 ou plus tard à Ariane Next. Notre feuille de route est donc claire, cohérente et partagée par nos partenaires européens. Ce qu’on doit faire maintenant, c’est foncer !

Concept de démonstrateur Callisto, en version trimoteur. Crédits : CNES.

SpaceX annonce le lancement de sa Big Falcon Rocket (BFR) dès 2030, la fusée la plus puissante de tous les temps, qu’en pensez-vous ?

J-M A. : Le Big Falcon Rocket est un projet ambitieux de SpaceX pour aller sur Mars mais aussi pour transporter des passagers de façon extrêmement rapide sur Terre de point à point (New-York/Tokyo en une heure). Pour que le projet soit économiquement viable, SpaceX doit pouvoir récupérer le 1er et le 2e étage de la fusée. Or, le 2e étage ira dans l’espace et atteindra donc les 27 000 km/h en orbite. Je pense qu’il y a un vrai débat car autant on peut imaginer facilement la récupération du 1er étage (qui ne quittera pas l’atmosphère terrestre, NDLR), pour le 2e c’est une autre paire de manches. Il faudra lui faire effectuer des manœuvres de rentrée atmosphérique et aussi l’équiper avec des protections thermiques, du matériel coûteux. On verra si les promesses économiques sont tenues.

Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs, au CNES. Crédits : CNES/Agence RÉA.

Décollage de la fusée Falcon Heavy de SpaceX, le 6 février 2018, depuis Cap Canaveral, en Floride. Crédits : SpaceX.

Les 2 boosters latéraux de la fusée Falcon Heavy sont bel et bien revenus sur la terre ferme le 6 février 2018. Crédits : SpaceX.