16 Février 2022

[Film] Don’t Look Up : 3 scènes vraisemblables (ou pas)

Nous avons vu le film-événement de la fin de l'année 2021 « Don’t Look Up » réalisé par Adam McKay. 3 experts du CNES réagissent au scénario. Alors, fiction ou réalité ?

Déni cosmique

Le film Don’t Look up, porté par les 2 mastodontes d’Hollywood, Jennyfer Lawrence et Leonardo Di Caprio, est drôle, mais pas que… Le réalisateur Adam McKay se sert ici de la satire, de l’absurde, de la caricature et du rire pour mieux dénoncer le déni de nos sociétés face à un cataclysme annoncé (l'ajout Déni cosmique au titre français du film vient d’ailleurs clarifier les choses).

La comète tueuse du film Don’t Look up. Crédits : Netflix.

Le saviez-vous ?

Un scientifique français de 32 ans, Michaël Marsset, a été la doublure de Lonardo Di Caprio pour les scènes de « tableau blanc », où il fallait écrire des séries d'équations complexes.

Dans le long métrage, on trouve 2 univers assez hermétiques : le monde des scientifiques, sérieux, austère, pragmatique, qui lance l’alerte, tente de secouer l’opinion et un monde politique superficiel, connecté à l’industrie du divertissement, incapable de décider, repoussant sans cesse l’échéance. Car oui, le changement climatique est en cours et menace la vie sur Terre. Dans le long métrage, la menace est incarnée par une comète tueuse qui fonce sur la Terre et qu’il faut à tout prix détruire ou détourner de sa trajectoire. Mais au fait, une comète, ou plus exactement un noyau cométaire, pourrait-il venir frapper la Terre dans la réalité ?

Cristophe BOnnal, expert au CNES

« Aux confins de notre Système solaire, à 20 ou 30 000 fois la distance Terre-Soleil, voire plus, se trouve un très grand réservoir de corps célestes de toutes tailles, appelé le Nuage de Oort. Les forces de gravitation y sont très faibles, et il suffit d’une petite perturbation pour changer radicalement la trajectoire d’un de ces corps et l’éjecter du nuage. Ainsi, de nombreux noyaux cométaires, petits corps glacés de quelques centaines de mètres de diamètre, parfois plus, sont injectés sur des orbites se rapprochant du Soleil. En cas d’alignement malchanceux, très improbable, il peut y avoir un impact avec la Terre. Ces comètes représentent environ 20% des objets potentiellement dangereux pour la Terre ; les 80% restants sont des astéroïdes qui pour la plupart, évoluent sur des orbites proches de celle de la Terre. Ces astéroïdes géocroiseurs sont relativement bien connus et on en suit 28 000 environ : on estime notamment que la quasi-totalité des géocroiseurs de plus de 1km sont catalogués et ne présentent aucun risque pour le siècle à venir. A contrario, les comètes sont très dures à détecter, et on peut ne les voir que quand elles passent vers l’orbite de Jupiter ; il reste alors effectivement peu de temps pour réagir… La communauté internationale s’est organisée en créant en 2013 deux organismes de l’ONU, le premier IAWN (International Asteroid Warning Network) destiné à mettre en commun les observations, le second SMPAG (Space Mission Planning Advisory Group) dont la finalité est d’étudier d’éventuelles actions à mener pour prévenir les effets d’un éventuel impact annoncé. Un congrès majeur sur le sujet organisé par l’IAA (Académie Internationale Astronautique), le PDC (Planetary Defence Conference) permet de fédérer les acteurs au niveau international. »

Affiche du film Don't look up. Crédits : Netflix.


Les scientifiques Randall Mindy et Kate Diabasky tentant de faire passer leur message sur le plateau du talk-show animé par Brie Evantee (Cate Blanchett) et Jack Bremmer (Tyler Perry). Crédits : Niko Tavernise/Netflix.

Et rapidement dans Don’t look up, le parallèle que fait Adam McKay avec la problématique actuelle et bien réelle du réchauffement climatique, du recul de la biodiversité et des bouleversements à venir saute aux yeux. Ça fait froid dans le dos… La nature humaine est peut-être ainsi faite… Ceci étant, nous disposons aujourd’hui d’outils pour mieux comprendre : les satellites. Ils se promènent tout autour de la Terre. Mais comment les satellites nous aident-ils aujourd’hui à mieux mesurer le changement climatique et ses effets sur la planète ?

Selma CHerchali, experte dans l’étude et l’observation de la Terre, CNES

« Beaucoup de satellites aujourd’hui nous permettent de comprendre et de surveiller  le changement climatique en cours. En France, par exemple, nous avons les missions SPOT, Pléiades, Jason et bientôt SWOT, CFOSAT, MICROCARB, MERLIN, TRISHNA ainsi que les instruments embarqués IASI et IASI-Nouvelle Génération. Chaque mission offre, soit une continuité précieuse dans les observations pour le suivi des tendances à long terme (altimétrie ou imagerie) tout en affinant sa précision et sa résolution au fur et à mesure de l’évolution de la technologie spatiale, soit une mesure innovante permettant d’adresser de nouveaux enjeux depuis l’espace. Ces observations sont une mine d’informations que la communauté scientifique analyse, qualifie et intègre dans des modèles numériques avec des observations obtenues aussi depuis le sol permettant peu à peu d’affiner notre compréhension du système Terre, notamment les interactions entre la biosphère, l’hydrosphère et l’atmosphère. A l’échelle du globe, plus d’une vingtaine de paramètres essentiels comme l’augmentation des températures, de la hauteur des océans, de la fréquence des événements extrêmes, de la fonte des glaciers sont clairement observés et quantifiés depuis l’espace. A l’avenir, combattre le changement climatique et ses conséquences nécessitera des observations spatiales encore plus précises, plus résolues spatialement et temporellement  pour évaluer l’efficacité des politiques environnementales mises en oeuvre comme par exemple la limitation des émissions de gaz à effets de serre par les états adoptée dans l’accord de Paris pour limiter le réchauffement global à 2 degrés d’ici 2050. L’exploitation des données spatiales permet également de guider les actions locales pour s’adapter à l’échelle des territoires aux impacts du réchauffement climatique global tels que la modification du littoral, les sécheresses, les inondations, les ilots de chaleurs urbains. C’est l’ambition du SCO (Space Climate Observatory), une initiative française décidée en 2019 et qui réunit à ce jour 29 agences spatiales dans le monde et 3 organismes de l’ONU.
 
»

Enfin, au 2/3 du film, un géant de la tech qu’on pourrait comparer à un Jeff Bezos ou un Elon Musk, peu scrupuleux, propose une solution miracle pour aller fracturer la roche grâce à de petites fusées spécialement conçues pour récupérer au passage les ressources naturelles lucratives contenues dans le noyau cométaire. Mais les comètes possèdent-elles de telles ressources dans la réalité ?

Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du système solaire, cnes

«  Non. Les comètes contiennent environ 1/3 de silicates (de la roche), 1/3 de matière organique solide et mal connue et 1/3 de volatiles congelés (eau, oxydes de carbone, méthane…). Ce ne sont pas les objets les plus intéressants pour une exploitation de ressources minières. Les Startups qui s’y intéressent orientent leur recherche sur les astéroïdes et plus particulièrement sur des objets de type M pour "métallique". En août prochain, la NASA va lancer la mission Psyche qui doit étudier l’astéroïde métallique du même nom. On en saura plus en 2026 sur le contenu de ce type d’objets qui seraient les reliques d’un gros corps qui a été détruit par une collision catastrophique et dont le cœur riche en métaux (essentiellement fer, nickel et moins de 1 % de cobalt) a été mis à nu. Les perspectives d’exploitation de ces ressources minières posent des difficultés colossales. Les sociétés privées, souvent aux USA et au Luxembourg, privilégient à court terme l’exploitation de l’eau que ce soit sur la Lune ou sur des astéroïdes hydratés car la NASA est prête à financer cette activité dans le cadre de l’exploration humaine, ce qui lui coûterait moins cher que d’envoyer cette eau depuis la Terre. Les 1ers projets dans ce domaine consisteraient à rechercher la "perle rare » c’est-à-dire un astéroïde qui serait riche en métaux rares comme les terres-rares, les dérivés du platine, etc. Ensuite seulement, des projets d’exploitation pourraient être envisagés mais encore faut-il avoir trouvé l’astéroïde miraculeux ! »

Don’t Look up est un film politique, sorte de clown triste, qui marque l'opinion. Sera-t-il arrivé jusqu'aux oreilles des décideurs du monde ? Rien n'est moins sûr...