16 Janvier 2020

[Décryptage] Google Loon : où sont les ballons ?

En 2011, Google lançait Loon, le projet « fou » de connecter le monde à Internet avec des ballons stratosphériques. En 2015, un partenariat avec le CNES se mettait en place. Où en est-on ?

Ballon Loon en phase d'ascension. A 20 km d'altitude, il sera aussi grand qu'un terrain de tennis. Crédits : Loon.

Un projet « fou »

Connecter les habitants de régions non pourvues d'antennes relais à la 4G avec des ballons stratosphériques ? Dans un 1er temps, le CNES a trouvé le projet Loon un peu « fou ». Mais suite aux lâchers prometteurs de ballons en 2013 depuis la Nouvelle-Zélande puis au Brésil, les experts du CNES se sont dit que le projet était réalisable et ont donné suite aux propositions de collaboration de Google.

... Il y a toujours quelque chose à apprendre de ceux qui osent entreprendre...

Fin 2014, un accord d’échanges d’expertise et de données de vol est signé entre Google et le CNES. « Pour nous, qui nous appuyons sur une expérience de plus de 50 ans dans le domaine des ballons stratosphériques et sur des processus bien éprouvés, il y a toujours quelque chose à apprendre de ceux qui osent entreprendre des grands chantiers en rupture dans le domaine du spatial » explique Vincent Dubourg, responsable des projets Ballons au CNES.

Entre 2015 et 2017, Google et le CNES collaborent avec une logique « gagnant-gagnant ». Ils échangent sur leurs projets respectifs et résolvent en commun certaines problématiques. Le CNES a, par exemple, partagé avec Google son expérience sur le design des ballons de longue durée (vols de 3 mois et +) et a participé à l’analyse les données récoltées lors de tests. La firme de Mountain View fait bénéficier le CNES de sa filière d’approvisionnement d’équipements de bord – notamment le transpondeur radar miniaturisé qui permet de fournir la position du ballon aux autorités du contrôle aérien – et aide à qualifier des capteurs du projet Stratéole du CNES en les faisant voler sous ses ballons Loon. Une pause dans cette collaboration s'opère entre 2017 et 2019, période durant laquelle le CNES, avec ses partenaires du CNRS, se consacre à la mise au point du système de ballons et d’instruments du projet Stratéole-2 dédié à l’étude des phénomènes atmosphériques équatoriaux. 

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Le ballon Loon est inspiré du ballon « potiron » développé à la fin des années 70 par le CNES. Crédits : Loon.

Vincent Dubourg, sous-directeur Ballons au CNES. Crédits : CNES/L. Lecarpentier.

le cnes de retour dans les coulisses

Pour piloter ses ballons entre 16 et 21 km d'altitude, Google a eu la bonne idée de cacher un second ballon rempli d'air à l'intérieur de l'enveloppe principale gonflée à l’hélium. Le « bi-ballon » descend par simple ajout d’air et inversement. « Cette capacité d’excursion de quelques km peut être très intéressante pour les scientifiques pour mesurer des composants de l’atmosphère dans les différentes couches d’altitude. Le projet Stratéole-2 actuellement en cours au CNES fournirait des résultats encore plus riches avec les capacités d’excursions d’altitude des ballons Loon » souligne Vincent Dubourg.

Maintenant que le projet Stratéole-2 est entrée dans sa phase opérationnelle – tout comme le projet Loon, le CNES et Alphabet (en 2018, la start-up Loon a été scindée de Google pour devenir une filiale de la maison mère Alphabet) sont repartis pour collaborer, notamment pour échanger leurs expériences pour obtenir les autorisations des nombreux territoires concernés par le survol de leurs ballons respectifs. Cela peut paraître anecdotique mais ces autorisations ne sont pas une mince affaire ! Pour réaliser le 1er lâcher de ballons de Stratéole-2 depuis Mahé aux Seychelles fin 2019, le CNES a dû demander les autorisations de survol à 96 pays. « C'est beaucoup de travail diplomatique pour lequel heureusement le ministère de l'Europe et des affaires étrangères français et les ambassades nous apportent leur soutien » souligne Philippe Cocquerez, chef du projet Stratéole-2. De son côté, l'équipe de Loon utilise son réseau mondial pour être autorisé à voler.

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Lâcher d'un ballon par le CNES aux Seychelles le 06/12/2019. Huit ballons Stratéole-2 ont été lâchés entre le 11/11 et le 08/12/2019. En 3-4 mois, ils feront 2 fois le tour de la Terre. Crédits : CNES/Prodigima Films/R. Gaboriaud.

Les ballons Loon n’ont pas de système de propulsion et utilisent les vents pour se déplacer durant leur durée de vie de 5 mois. Si le ballon dérive vers l’est, en dehors de la zone qu’il doit couvrir, son logiciel cherchera un courant d’air pour l’emporter vers l’ouest. Crédits : Loon. 

Vérification de la nacelle scientifique de Stratéole-2 à Mahé le 06/12/2019. Crédits : CNES/Prodigima Films/R. Gaboriaud.

 Le CNES va bientôt étudier des bi-ballons scientifiques avec le même concept que celui adopté par LOON

Cette application scientifique répondrait à une proposition du CNRS qui souhaite maintenir en continu une flottille de quelques ballons en basse stratosphère équatoriale. Cela implique la recherche d’une plus longue durée de vol encore, pour limiter le besoin de remplacement, et un certain degré de contrôle de la trajectoire pour maintenir les ballons dans la bande équatoriale d’intérêt scientifique majeur pour le climat et la météorologie opérationnelle » explique Philippe Cocquerez. Le projet « fou » de Google pourrait déboucher sur une utilisation scientifique ! Sénèque avait raison : « il est parfois bon d'avoir un grain de folie. »

LOON : des premières utilisations

 Suite à des catastrophes naturelles, Loon a assuré une connectivité d'urgence :

  • en mars 2017 au Pérou après des pluies diluviennes et inondations ;
  • en novembre 2017 à Porto-Rico suite à l’ouragan Maria. Loon a fourni des SMS, des MMS et un Internet de base à près de 250 000 habitants, 4 semaines après l'ouragan.
  • en mai 2019 au Pérou après un séisme de magnitude 8. Déjà actif dans le pays, Loon a rétablie une connectivité complète (sms, voix et Internet) dans les 48h en redirigeant un groupe de ballons vers la zone touchée. 

En 2020, Loon et ses partenaires de télécommunciation devraient proposer un service commercial aux habitants de villages de montagne au Kenya et de la forêt amazonienne au Pérou. A noter que les projets Starlink de SpaceX et OneWeb poursuivent le même objectif mais avec des constellations de satellites en orbite basse.

A lire, le nouveau CNESMag n° 82

Pour prolonger la thématique, vous pouvez lire en ligne gratuitement, le nouveau  CNESMAG. Au sommaire de ce numéro 82 : « Télécommunications spatiales, bienvenue dans une nouvelle ère ». Pour tout savoir sur la révolution en cours  dans le domaine des télécommunications par satellite, incontournables pour connecter demain l'ensemble des habitants de la planète et leur apporter des nouveaux services dans tous les secteurs de leur vie quotidienne.