25 Octobre 2018

[Actu] Un touriste vers la Lune en 2023 : fiction ou réalité ?

Un milliardaire japonais vient d’acheter son billet pour la Lune auprès de la firme américaine SpaceX. La fusée sera-t-elle prête à temps ? Cela marque-t-il le coup d’envoi du tourisme spatial ? Entretien avec Gilles Rabin, directeur de l’innovation, des applications et de la science, au CNES.

 

Pourra-t-on un jour se payer un ticket pour la Lune ? Rien n’est moins sûr. Une petite dizaine de touristes pourrait toutefois aller y faire un tour dans la prochaine décennie. L’annonce a été faite le 17 septembre 2018 au siège de SpaceX à Los Angeles. C’est un milliardaire japonais de 42 ans, Yusaku Maezawa, qui a décidé de réaliser son rêve en achetant un billet et en invitant par la même occasion 6 à 8 artistes à partager son expérience. Rendez-vous est pris en 2023 si toutefois SpaceX réalise le pari fou de mettre au point, dans les temps, son BFR (Big Falcon Rocket), la fusée la plus puissante au monde. Est-ce réaliste ? 4 questions à Gilles Rabin, directeur de l’innovation, des applications et de la science, au CNES.

Que pensez-vous de cette annonce d’envoyer des touristes vers la Lune en 2023 ?

Gilles Rabin : Pour moi, c’est du rêve. Mais c’est aussi pour cela que l’on fait du spatial. Je trouve ça extraordinaire si, quelque part, Elon Musk met le spatial à la portée de tous, en imaginant des choses qui tiennent du rêve. La question du milliardaire qui se promène dans l’espace est secondaire. Le rêve est de retour.

Le BFR (Big Falcon Rocket) de SpaceX pourrait effectuer son 1er vol orbital en 2020. Crédits : SpaceX.

C’est enthousiasmant pour l’ensemble de l’industrie spatiale mondiale. Maintenant, est-ce réaliste pour 2023 ? Je ne sais pas. Ça parait peu probable, le 1er vol du Big Falcon Rocket étant planifié pour 2020. Mais ce n’est pas vraiment la question, l’objectif d’Elon Musk avec son entreprise SpaceX est d’ouvrir la voie. Il a réussi avec cette annonce à élargir le champ des possibles pour quelques « happy few ».

Depuis le vol de Guy Laliberté (fondateur du Cirque du Soleil) sur Soyouz en 2009 et ses 12 jours passés à bord de l’ISS, on a l’impression que le tourisme spatial ne s’est pas développé aussi vite que prévu, qu’en pensez-vous ?

G.R. : Ces vols privés ne sont pas vraiment ce qu’on appelle du tourisme spatial. Le tourisme spatial, c’est davantage ce que prévoit Blue Origin l’année prochaine (entreprise spatiale créée en 2000 par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, NDLR).

L’habitacle de la capsule New Shepard de la société Blue Origin compte 6 sièges à l'horizontale avec chacun un large hublot. Crédits : Blue Origin. 

Embarquer des gens pour un vol suborbital à un peu plus de 100 km d’altitude d'où ils pourront admirer la rotondité de la Terre et vivre quelques min en impesanteur. Ça pourrait avoir un vrai intérêt pour la suvegarde de l'environnement terrestre. De là-haut, parait-il, on se rend mieux compte de la fragilité de la planète, on voit les traces du passage de l’homme, la pollution. Plus il y aura de gens à voir cela, plus le message sera facile à distiller. Mais le tourisme spatial à proprement parler n’a pas encore commencé. A nous aussi d’y travailler avec nos nacelles et nos ballons. Le CNES a les compétences mais il nous faut des investisseurs.

On a l’impression que l’Europe est un peu spectatrice de tout ça, qu’en est-il réellement ?

G.R. : Il faut se souvenir qu’en 1961, quand le Russe Youri Gagarine ouvre la voie du 1er homme dans l’espace, les scientifiques américains remettent dans le même temps un rapport au président Kennedy lui indiquant que cette prouesse n’a aucune valeur scientifique, rapport immédiatement contredit par un autre rapport… La question de l’intérêt du vol habité était posée ! L'exploit avait surtout une valeur d’impérialisme économique et politique. Le vol habité a longtemps été vu comme cela, avec une prédominance stratégique.

La navette européenne Hermès devait être installée au somment de la fusée Ariane 5. Crédits : ESA (1991).

L’Europe ne s’est jamais vraiment positionnée de cette façon à part avec le programme de navette Hermès, abandonné en 1992 car trop coûteux. Dans le cadre de la coopération internationale, l’Europe est aujourd’hui en capacité d’envoyer des hommes dans l’espace, aux côtés des Russes et des Américains. Concernant la France, le CNES sélectionnait des astronautes dans les années 80-90, cette activité est aujourd’hui gérée par l’ESA (l’agence spatiale européenne, NDLR) dont nous sommes le 1er pays contributeur. Le dernier astronaute français à avoir rejoint la Station spatiale internationale est Thomas Pesquet. Le gouvernement français actuel n’a pas de position affirmée sur le vol habité. La direction de l’innovation et des applications du CNES va proposer, à la fin de l’année, une stratégie sur l’exploration spatiale au sens large du terme, où la question du vol habité sera posée.

Pourquoi l’homme n’est-il jamais retourné sur la Lune depuis 1972 ?

L’objectif principal de l’exploration qu’elle soit robotique ou humaine, c’est la recherche de vie ailleurs pour comprendre d’où nous venons. Sur la Lune, on sait qu’il n’y a rien ou pas grand-chose, ce n’est donc pas un objectif entant que tel. L’étape suivante, c’est la planète Mars. La question cruciale autour de Mars, c’est : a-t-elle été habitée ? Aucune des 3 nations qui se partagent aujourd’hui le vol habité, à savoir la Russie, les Etats-Unis et la Chine n’a les moyens de s’y rendre seule. Les Américains en ont l’envie, j’en suis sûr. Les européens peut-être… Il faut savoir que la recherche scientifique française pour l’exploration de Mars (à l’aide de sondes et de robots, NDLR) est à la 2e place mondiale après celle des Etats-Unis. Une mission humaine vers la planète Mars, c’est un autre histoire… Mais on y participera aussi !

Dernière mission américaine sur la Lune, Apollo 17, en 1972. Crédits : NASA.

Gilles Rabin, directeur de l’innovation, des applications et de la science, au CNES. Crédits : CNES/H. Piraud.

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