29 Novembre 2017

[Actu] Que nous apprend la découverte de l’astéroïde ‘Oumuamua ?

Lundi 20/11, une équipe américaine publie un article sur la détection d’un astéroïde venu d’ailleurs dans la célèbre et prestigieuse revue scientifique britannique « Nature ». Une observation sans précédent qui ouvre une fenêtre sur notre Galaxie. 4 questions à Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au CNES.
Comment peut-on être sûr que l’astéroïde ‘Oumuamua provient bien d’ailleurs ?

Francis Rocard : C’est la vitesse de l’objet qui nous renseigne sur son origine. Si sa vitesse à l’infini est nulle, cela signifie qu’il a une trajectoire parabolique et donc appartient au Système solaire. Si sa vitesse à l’infini n’est pas nulle, cela signifie qu’il possède une trajectoire hyperbolique et qu’il vient donc de l’extérieur du Système solaire. La trajectoire de l’astéroïde ‘Oumuamua a été qualifiée d’hyperbolique par les scientifiques de l’étude, il vient donc d’ailleurs. C’est grâce à cette méthode que l’astronome néerlandais Jan Oort avait prédit dans les années 1950 l’existence d’un nuage qui porte son nom et qui regroupe une vaste population de comètes jusqu’aux limites du Système solaire.

L’astéroïde ‘Oumuamua serait de forme très allongée, comme un cigare, comment est-ce possible ?

F. R. : Les scientifiques de l’étude n’ont pas observé directement la forme de l’astéroïde ‘Oumuamua, ils ont mesuré sa courbe de lumière, c’est à dire la lumière du Soleil qu’il réfléchit au cours de sa rotation sur lui-même, grâce à des photomètres ultra-sensibles. Ils ont observé une courbe de lumière très variable. Ils en ont déduit que l’objet avait une allure très allongée, en forme de cigare. Cela pourrait être dû à la présence d’une face très sombre et une face très claire qui provoquerait la même variation d’albedo (pouvoir réflechissant d'une surface, ndlr), mais sa couleur rouge sombre caractéristique d’un objet fortement impacté par les radiations cosmiques ne plaide pas en faveur d’une face brillante riche en glace.

Cette détection est une formidable nouvelle pour la communauté scientifique, peut-on s’attendre à suivre d’autres astéroïdes de ce type dans les années à venir ?

F. R. : Un instrument important est en train d’être construit, le LSST (pour Large Synoptic Survey Telescope), le « Grand Télescope d’étude synoptique » au Chili. Il devrait être opérationnel en 2020. Il aura cette particularité de faire des « survey » du ciel fréquemment, c'est-à-dire de cartographier la totalité du ciel visible pratiquement tous les jours. Avec un instrument si performant, on pourra très facilement par comparaison d’images d’un jour à l’autre identifier tout nouvel arrivant dans le ciel. Il suffit pour cela de comparer une image du ciel un jour avec la même image un autre jour mais en négatif et tout disparait sauf ce qui s’est déplacé. C’est avec cette méthode, mais à l’œil nu ou presque, que l’astronome américain, Clyde Tombaugh, a identifié Pluton en 1930. Le LSST est optimisé pour la recherche d’objets de très faible luminosité comme les astéroïdes. On peut donc s’attendre à en détecter un grand nombre venu d’ailleurs dans les années à venir.

Que peut nous apprendre l’astéroïde ‘Oumuamua sur la formation du Système solaire ?

F. R. : On a tout à apprendre de cet astéroïde interstellaire puisque c’est le 1er que l'on observe. Il pourrait nous donner des indices sur la formation du Système solaire lui-même puisque les modèles numériques actuels prédisent que les corps les plus massifs comme Jupiter ont été capables d’expulser des objets de ce type. On pense aussi que la fameuse planète P9 (l’hypothétique 9e planète du Système solaire, ndlr) aurait subi un sort similaire en étant expulsé non pas à l’extérieur du Système solaire mais à 600 UA (unités astronomique) du Soleil, ce qui représente une distance faramineuse. Dernier point : on a repéré depuis quelques années l’existence de planètes dites « errantes », des objets ayant la taille et la luminosité d’une planète mais qui ne tournent autour d’aucune étoile. On pense qu’elles pourraient également avoir subi ce phénomène d’expulsion. Elles auraient été survolées à un moment donné par un objet très massif capable de leur faire changer d’orbite pour être envoyées sur une trajectoire hyperbolique et ainsi partir dans le milieu interstellaire. Tout ce qu’on apprend sur ces astéroïdes venus d’ailleurs nous aidera à confirmer ou non cette hypothèse.

Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du Système solaire. Crédits : CNES/H. Piraud.

Vue d'artiste de l'astéroïde 1I/2017 U1 (`Oumuamua). Crédits : ESO/M. Kornmesser.

Illustration du futur télescope LSST, au Chili. Crédits : LSST.