7 Mars 2020

[Actu] Allô, vous avez appelé un dépanneur de l'espace ?

Le 1er dépannage d’un satellite s’est déroulé le 25/02/2020 à 36000 km d'altitude. Lancé en octobre 2019, le remorqueur MEV-1 a accosté le satellite Intelsat-901 proche de la panne sèche. Qu'est-ce que cela signifie ? 3 questions à Christophe Bonnal, expert au CNES.

Ce remorquage est-il Vraiment un évènement historique ?

Christophe Bonnal : Oui, c’est à comparer avec la création d’Arianespace par le CNES dans les années 80 et les 1ers lancements commerciaux d'Ariane. Aujourd'hui, Northrop Grumman a réalisé le 1er service commercial en orbite à destination d’une autre entreprise. Les cargos européens ATV ont déjà effectué des rendez-vous dans l’espace, transféré des ergols (carburants de l'espace, NDLR) et réhaussé l’altitude de l’ISS (la Station spatiale internationale, NDLR) mais c’était des commandes institutionnelles. Cet amarrage de MEV-1 marque l’ouverture du marché des services commerciaux de maintenance et de réparation dans l’espace ! Les satellites géostationnaires sont un marché extrêmement juteux. Les entreprises de télécommunications ont tout intérêt à voir se prolonger la vie de leurs engins. Avec MEV-1, Intelsat va prolonger la vie d’Intelsat-901 de 5 ans. Ce sont des centaines de millions de dollars de recettes pour un investissement de quelques dizaines de millions de dollars. Cette idée de véhicules spatiaux ''couteaux-suisses'' existe depuis 1985. Les technologies, notamment cet amarrage par la tuyère du moteur d’apogée, avaient déjà été testées au sol mais jamais dans l’espace. Toutes les technologies existaient mais réussir un accostage du 1er coup, chapeau !


Test au sol de l’amarrage de MEV-1 (à gauche) dans la tuyère du moteur d'apogée d'Intelsat-901 (à droite) avec une sorte d'aiguillon-suppositoire - sur des maquettes bien entendu. A noter qu'Intelsat-901, lancé en 2001, n’avait pas été conçu à l’origine pour cette opération. Après 5 ans de propulsion, MEV-1 (MEV pour « Mission Extension Vehicle ») se détachera d’Intelsat-901 pour s’occuper d’un autre client, puis d’un autre… Sa durée de vie est prévu pour 15 ans. Crédits : Northrop Grumman.


Northrop Grumman ?

Northrop Grumman est un groupe américain dont les activités tournent autour de la défense : aéronautique, espace… Il commercialise les cargos de ravitaillement Cygnus à destination de l’ISS (la Station spatiale internationale) depuis l’acquisition d'Orbital ATK en 2018.

Christophe Bonnal, expert à la direction des lanceurs du CNES. Crédits : CNES/PIRAUD Hervé, 2019.


Ces remorqueurs peuvent-ils devenir des éboueurs de l'Espace ?

C. B. : De manière technique, pour les satellites morts et les vieux étages de lanceurs, oui. Le principal problème de ces gros débris, c’est qu’ils sont non-coopératifs et tournoient sur eux-mêmes. Lors de son dépannage, Intelsat-901 était encore actif : il a pu se positionner pour faciliter sa capture par MEV-1. En 2014, l’Europe a réalisé avec l’ATV-5 une simulation d’un rendez-vous non coopératif avec l’ISS. La technologie existe, mais le financement et la pertinence de tels remorquages de débris en orbite basse (altitude inférieure à 2000 km, NDLR) sont encore à démontrer. Qui va payer la facture de 10 à 50 millions de dollars pour se débarrasser d’un satellite mort ? Le propriétaire de l’épave ? C’est compliqué ! Et puis, quel est l'intérêt de se débarrasser de 10 satellites par an pour une facture de 500 millions de dollars quand il y a encore 2500 satellites inactifs autour et 2000 étages supérieurs de lanceurs à l'abandon, en orbite basse ? Ces débris peuvent générer des milliers de nouveaux débris en cas de collision ou d'explosion. Toutefois, dans une perspective à long terme, il est nécessaire de nous préparer à de tels nettoyages, tout en respectant bien mieux qu’aujourd’hui la réglementation en matière de débris. C'est ce que fait l'ESA (l'Agence spatiale européenne, NDLR) dans le cadre du programme Adrios. En orbite géostationnaire, on peut déjà imaginer de tels services car de vieux satellites abandonnés au cours des décennies passées reviennent fréquemment hanter les "places de parkings" des satellites de télécommunicatoins. Or ces places valent de l’or : le financement d’un nettoyage est donc tout à fait envisageable.

Plus de 1000 vieux satellites de télécommunication polluent actuellement l'orbite géostationnaire. Soumis notamment à la gravité de la Lune et du Soleil, sans moyen de propulsion, ils réalisent de grands 8 et croisent fréquemment le plan équatorial où sont positionnés 530 satellites en activité. Crédits : AGI.

Illustration d'artiste de la mission ClearSpace-1 du programme européen Adrios dont le lancement est prévu en 2025. Objectif : capturer l'étage supérieur d'une fusée Vega avec 4 bras robotisés et plonger dans l'atmosphère pour s'y consumer. Crédits : ClearSpace.


D’autres industriels se posItionnent-ils sur ce marché ?

C. B. : Oui car l’étendue des opérations est assez étonnante : ravitailler, déplacer un satellite vers une autre orbite, réparer un panneau solaire, pointer une antenne de communication dans la bonne direction ou même installer un nouvel instrument ! A Cannes, Thales Alenia Space développe des véhicules qui rempliraient directement les réservoirs des satellites dans le cadre du projet Space START. C’est plus compliqué à réaliser qu’un remorquage en continu, il faut que l’engin soit muni d’un véritable outillage qui découpe la couverture thermique, dévisse le bouchon de remplissage puis adapte un tuyau pour remplir le réservoir. Mais un seul gros véhicule pourrait s’occuper de plusieurs satellites géostationnaires au cours d’une année, et non d’un seul durant 5 ans. Airbus a aussi un projet, appelé O.CUBED. En orbite basse, des services sont possibles mais le marché est plus limité qu’en géostationnaire : une vingtaine de satellites, peut-être plus, en incluant les satellites militaires. La NASA travaille actuellement avec MAXAR (un constructeur de satellites qui commercialise les satellites d’observation DigitalGlobe, NDLR) pour ravitailler et corriger la trajectoire d’un satellite Landsat.

Quand on est mort à cette hauteur, on est là pour 2000 ans !

Après, il y a le cas particulier, et nouveau, des méga-constellations. OneWeb a installé des poignées sur ses satellites afin de pouvoir les attraper en cas de défection de leur propulsion. Ces satellites - près de 800 dans un 1er temps - seront positionnés à 1200 km d’altitude. Quand on est mort à cette hauteur, on est là pour 2000 ans ! Plusieurs startups, mais aussi Airbus, se positionnent pour aller les récupérer. Les satellites Starlink d’Elon Musk n’auront pas ce souci car ils doivent normalement se placer à 550 km d’altitude : ils rentreront donc rapidement dans l’atmosphère. Ils pourraient par contre causer des problèmes pour la gestion de l’ISS, les futures stations habitées et pour tous les satellites situés sur des orbites inférieures à 500 km d'altitude, et je ne parle pas des problèmes pour les observations astronomiques si effectivement ils lancent 42000 satellites !

Représentation d'artiste d'un service en orbite. Crédits : Thales Alenia Space/Master Image Programmes.

Le saviez-vous ?

Northrop Grumman a réservé une place sur le vol VA253 d'Ariane 5 prévu en juin 2020 pour son 2e satellite remorqueur : MEV-2. Objectif : prendre le relais de la propulsion d'un autre satellite d’Intelsat en orbite géostationnaire.

Pour aller plus loin

« Pollution spatiale, l’état d’urgence », un livre de Christophe Bonnal sorti en 2016 (mais toujours d'actualité).